De la colonie de peuplement à la pleine citoyenneté des Kanak (1853-1957)

Occupée régulièrement depuis 2000 avant J-C par des populations austronésiennes en provenance d’Asie du Sud-est, la Nouvelle-Calédonie a été rapidement peuplée de groupes humains mélanésiens, vivant en clan et entretenant des relations complexes entre eux. De ce fait, coexistent aujourd’hui sur l’archipel une trentaine de langues ou dialectes différents.

James Cook « découvre » la Nouvelle-Calédonie en 1774.

Le 24 septembre 1853, sur ordre de Napoléon III, le contre-amiral Febvrier-Despointes prend officiellement possession de la Nouvelle-Calédonie au nom de la France et fonde Port-de-France (Nouméa) en juin 1854. Le territoire conservera son statut de colonie jusqu’en 1946.

Le peuplement de la Nouvelle-Calédonie est marqué à partir de 1864 par la colonisation pénale (transportés), puis par l’arrivée entre 1873 et 1876 de 4 200 prisonniers politiques « déportés » après la Commune de Paris et l’insurrection kabyle. De 1864 à 1897, 22 000 personnes seront détenues sur l’archipel.

L’instauration de « réserves », délimitant les terres dans lesquelles les indigènes ont été repoussés, généralement les moins arables, entraine de nombreuses révoltes des populations mélanésiennes, notamment celle menée en 1878 par le grand chef Ataï.

À partir de 1887, le code de l’indigénat s’applique aux populations autochtones, les dépossédant de leurs terres, leur imposant travail obligatoire, restrictions de circulation et du droit de propriété, taxes spécifiques.

À compter de 1895 et avec la fin de la colonisation pénale en 1897, la mise en valeur des ressources minières est rapidement privilégiée. L’exploitation du nickel entraine de nombreuses vagues d’immigration successives : vietnamienne, japonaise, indonésienne, wallisienne, tahitienne et antillaise.

Durant la Seconde Guerre mondiale, l’île devient la principale base américaine extérieure dans le Pacifique et compte jusqu’à 50 000 hommes sur son sol. 1 200 000 soldats américains au total auront été installés en Nouvelle-Calédonie pour mener, notamment, la bataille de la mer de Corail.

Le code de l'Indigénat est finalement aboli en trois étapes par :

  • L’ordonnance du 7 mars 1944 (suppression du statut pénal de l'indigénat)
  • La loi Lamine Gueye du 7 avril 1946 (nationalité française pleine et entière à tous les Français, indigènes compris)
  • Le statut du 20 septembre 1947 (égalité politique et accès égal aux institutions)

Les Kanak obtiennent alors la liberté de circulation, de propriété, et leur statut civil particulier est reconnu. Le droit de vote des kanak, théoriquement accordé en 1946, ne sera que progressivement appliqué : seuls 267 membres de l'élite mélanésienne obtiennent effectivement le droit de voter en 1946, puis la loi du 23 mai 1951 élargit le collège électoral indigène à 60 % des Mélanésiens en âge de voter.

Le suffrage universel n’est pleinement mis en place que par le décret du 22 juillet 1957.

Entre instabilité institutionnelle et montée des revendications nationalistes (1957-1988)

La loi-cadre Defferre du 23 juin 1956 et le décret-loi du 22 juillet 1957 confèrent au territoire une relative autonomie en créant un conseil de gouvernement autonome et en remplaçant le conseil général par une assemblée territoriale, qui conserve ses compétences en matière de mine et de fiscalité, et voit ses attributions étendues à des domaines tels que le statut des agents territoriaux, la procédure civile, l’enseignement ou le régime foncier.

Les années 60 sont marquées par un mouvement recentralisateur et une lutte contre les autonomistes locaux représentés par le principal parti, l’Union Calédonienne. Parallèlement, la fin des années 60 voit la montée de revendications indépendantistes kanak. Pour en limiter les effets, est mise en œuvre une politique de peuplement européen lors du boom du nickel (1969-1972).

Sans revenir au statut de 1957, la loi du 28 décembre 1976 restaure les pouvoirs du conseil du gouvernement, exercés collégialement. Ce nouveau statut, confronté à une situation politique locale où indépendantistes et non-indépendantistes s'opposent, connaît des difficultés de mise en œuvre.

Le débat sur l'accès à l'indépendance est désormais ouvert, avec la création, en 1979, du Front Indépendantiste, qui deviendra le FLNKS en 1984.

En juillet 1983, s'ouvre la table ronde de Nainville-le-Roches, regroupant des représentants des divers mouvements politiques, en présence du secrétaire d'Etat aux DOM-TOM. Cette table ronde débouche sur une déclaration commune, publiée le 12 juillet 1983, que le RPCR de Jacques Lafleur refuse cependant de cosigner. Le fait colonial et le « droit inné et actif à l'indépendance » du « peuple kanak, premier occupant » sont reconnus, l'exercice de ce droit devant se faire « dans le cadre de l'autodétermination prévue par la Constitution de la République française ». L’autodétermination est ouverte également, « pour des raisons historiques, aux autres ethnies », les « victimes de l'histoire », dont « la légitimité est reconnue par les représentants du peuple kanak ». La déclaration conclut à la nécessité d'élaborer un statut d'autonomie transitoire et spécifique.

En application de la déclaration de Nainville-les-Roches, la loi du 6 septembre 1984 (« statut Lemoine ») dote la Nouvelle-Calédonie d’un statut de large autonomie, qui sera aussi le plus éphémère. Elle prévoit un référendum d’autodétermination en 1989, perspective qui suscite une opposition forte localement.

Un climat de violence s’installe alors dans l’île : l’état d’urgence est décrété le 12 janvier 1985 et un couvre-feu imposé, le règlement de la question statutaire étant subordonné au rétablissement de l’ordre public.

Deux nouveaux statuts se succèdent, liés au changement de majorité en 1986 en métropole :

  • La loi du 23 aout 1985 (statut « Fabius-Pisani ») fixe un statut provisoire prévoyant le principe d’une consultation sur l’avenir du territoire avant le 31 décembre 1987
  • La loi du 17 juillet 1986 (statut Pons) prévoit un nouveau statut pour le territoire, puis un scrutin d’autodétermination avant la fin de 1987. Le 13 septembre 1987, 98 % des votants s’expriment en faveur du maintien du territoire au sein de la République, mais le taux d’abstention s’élève à 41 %, compte tenu du boycott des indépendantistes

La tension atteint son paroxysme en avril-mai 1988. De jeunes indépendantistes kanaks attaquent une gendarmerie sur l’île d’Ouvéa, tuant quatre gendarmes, avant de se réfugier dans une grotte en prenant vingt-trois personnes en otage. Entre les deux tours de l’élection présidentielle, le gouvernement de Jacques Chirac ordonne l’assaut de la grotte : les otages sont libérés mais on compte 21 morts (19 Kanak et 2 militaires).

Le 15 mai 1988, le nouveau Premier ministre, Michel Rocard, désigne une mission, dite mission du dialogue, conduite par Christian Blanc. Cette mission en Nouvelle-Calédonie débouchera sur la signature à Paris des accords de Matignon le 26 juin 1988 par le RPCR, le FLNKS et l’Etat.

Ces accords ont entériné la création de trois provinces (Sud, Nord et Îles Loyauté), librement administrées par des assemblées élues au suffrage direct. La répartition des pouvoirs fait la part belle aux provinces puisqu'elles détiennent une compétence de droit commun, notamment en matière économique, sociale et environnementale.

Les ressources fiscales sont réparties de manière à favoriser l'intérieur de la Grande Terre et les îles Loyauté : 50% pour les provinces Îles et Nord qui représentent 30 % de la population, 50% pour la province Sud où sont concentrés 70 % des habitants et 75 % de l'activité économique.

Des accords de Matignon à nos jours

Le 4 mai 1989, sur l'île d'Ouvéa, le président du FLNKS (indépendantiste), Jean-Marie Tjibaou, et son secrétaire général, Yeiwéné Yeiwéné, sont assassinés. Leur meurtrier, Djubelly Wéa, un ancien pasteur et ancien militant indépendantiste du FULK, reprochait aux deux hommes d'avoir signé en juin 1988 les accords de Matignon avec l'État et leurs adversaires anti-indépendantistes du RPCR.

À l'approche du référendum prévu pour 1998 par les accords de Matignon, alors qu'il ne faisait aucun doute, au vu des résultats des provinciales successives, que le « non » à l'indépendance l'emporterait et afin de préserver une paix locale encore fragile, Jacques Lafleur propose de lui substituer une « solution consensuelle » à négocier avec les indépendantistes et l'État.

L'accord de Nouméa du 5 mai 1998 reconnaît dans son préambule les « ombres » et « lumières » de la colonisation et l'existence d'une « double légitimité », celle du « premier occupant », les Kanak, et celle de toutes les communautés arrivées après la prise de possession et qui ont participé à l'histoire de l'archipel depuis 1853. Il prévoit une autonomie forte, avec des transferts progressifs et irréversibles de compétences, seuls les pouvoirs régaliens (défense, sécurité, justice, monnaie, et, dans une certaine mesure, politique étrangère) devant continuer de relever de l’Etat. Il prévoit la construction d'un destin commun, la mise en place d'une citoyenneté calédonienne, ouverte aux Français installés en Nouvelle-Calédonie avant novembre 1998 et à leurs descendants, la défense et la promotion de la culture kanak et l'adoption de signes identitaires (hymne, devise, drapeau, nom du pays et graphie des billets de banque) représentant « l'identité kanak et le futur partagé entre tous ».

Sur le plan économique, la période des « accords » correspond à des années 1990 plutôt moroses suivies d'une certaine prospérité à partir des années 2000 en raison de l'envolée des cours du nickel (et malgré un léger ralentissement, suivi d'une reprise, entre 2008 et 2009). Ces années sont notamment marquées par de grands travaux : constructions des usines du Nord (de 2007 à 2012) et du Sud (de 2005 à 2010), aménagement d'un campus universitaire unique regroupé à Nouville (de 2005 à 2011), agrandissement de l'aéroport de La Tontouta (de 2008 à 2012), chantier du Médipôle de Koutio (de 2010 à 2016), création de nouvelles ZAC dans le Grand Nouméa (Savannah, Nakutakoin, Cœur de ville, Dumbéa-sur-mer), mise en valeur touristique de Gouaro Deva (à partir de 2011), édification de nouveaux équipements pour les Jeux du Pacifique de 2011.